La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

La mer est un mur, de Marin Postel

À quelques encablures du continent, l’île de Quiesay est divisée d’une ligne invisible et puissante. De part et d’autre : les propriétaires dans leurs maisons peu importe depuis combien de générations, et les insulaires isolés dans une ancienne caserne et dans leur vie précaire. 

Le jeu de la cohabitation coule ses remous au gré des vacances d’été, la distance relative maintenant un équilibre vacillant. 


Quand le narrateur voit son frère Antoine franchir la ligne, tenter de se faire adopter, de construire une vie et des amitiés avec le clan adverse, le lecteur suit dans un récit de plus en plus dense, sa lente glissade vers une fin inéluctable. 


La mer est un mur est un roman très fort, très bien écrit. L’histoire d’une famille qui se désintègre dans un environnement où la nature restera toujours la plus forte. 


La mer est un mur, de Marin Postel

Aux éditions Phébus

L’art de la victoire (Shoe dog), de Phil Knight

L’histoire de Phil Knight et de la création de Nike aurait pu être une success story comme une autre. Le titre français porte à confusion : il n’en est rien.
Ce livre est l’histoire d’un homme avec une idée folle, de son parcours semé d’échecs, de petites victoires, de revirements, de mauvaises nouvelles à répétition, de travail acharné. Pour preuve, quand tout a commencé pour Nike, Phil Knight s’était lancé depuis dix ans.

Il ne tait rien dans ce livre, ni les doutes, ni les abattements, ni les crises d’angoisse, ni l'étau autour d'une vie familiale au cœur de l’instabilité de son business. Il nous donne également à ressentir avec justesse et humilité le manque de confiance, et ce sentiment d’imposture bien connu de nos jours. 


Le récit évolue dans l’Amérique depuis les années 60, avec pour cadre une mondialisation faite de soubresauts, d'alliances, d'ouverture et de nouveaux acteurs. Le tableau géopolitique joue un rôle déterminant dans la saga Nike, en particulier les relations commerciales à la fois stratégiques et tendues, des États-Unis avec le Japon d'après guerre. 


L’aventure Nike est également une belle aventure humaine, celle d'un jeune entrepreneur entouré pour le meilleur (et parfois pour le pire) d’une équipe constituée de son ex-entraîneur et d’anciens sportifs. Ces hommes ont révolutionné le marché des chaussures de sport au profit de plusieurs générations d’athlètes et du grand public. 


L’histoire de Nike est celle d’un nom choisi  dans l’urgence, de chaussures de sport améliorées sans relâche par des sportifs, pour des sportifs, celle d’un projet porté par la créativité et l’insistance, affiné durant de longues années. Un projet qui aurait mille fois pu rater.


Ce livre passionnant a un atout complémentaire : il est bien écrit, très dynamique - un vrai page turner (622 pages en version poche), même pour les non-coureurs et les non-entrepreneurs, aussi riche de détails que du flou des années passées.

Je ne l’aurais sans doute pas lu si mon chéri ne me l’avait tendu, ma pile à lire de vacances déjà dévorée, toute librairie ouverte hors de portée. Et voilà, c’est mon préféré de l’été. 


L'art de la victoire, de Phil Knight

Aux éditions Hugo Publishing



De guerre lasse, de Françoise Sagan

En l’espace de sept jours au soleil, en province, le récit se déroule dans le calme inquiétant de la zone libre, dans les rues d’un Paris occupé par la haine et l’idéologie nazie. Le trio immémorial - l’amant, la maîtresse, l’ami, réinterprête la danse de la vie face à la folie humaine, face à l’ombre menaçante de la mort. 


À travers Alice, Jérôme, Charles - ses personnages, Francoise Sagan s’offre le luxe de parler d’amour en même temps de parler de la guerre, de la terre, de liberté, d’amitié, de totalitarisme, de complaisance, de résistance, de ce que l’espèce humaine est capable de se faire à elle-même. 


Un ultime chapitre, éblouissant, voit se profiler le basculement de 1942, l’horreur tout recouvrir, les terres, l’avenir. 

Reste l’été 42 comme une ultime parenthèse ensoleillée, une dernière pirouette sous les volutes de l’écriture d’une Sagan au sommet de son art.


De guerre lasse, de Françoise Sagan

Aux éditions Gallimard et en poche chez Folio

Les braises de Patagonie, de Delphine Grouès

Les braises de Patagonie est un voyage, un voyage géographique, un voyage littéraire et un voyage dans le temps.

Le livre suit en parallèle Valentina, femme médecin dans le Chili des années 50, et Luis, qui quitte la France pour Santiago au décès de sa mère, pour partir sur les traces de son père, d'une famille inconnue, de son histoire. 

Des débuts de chapitres forts et poétiques ancrent les personnages dans de puissants paysages, les aller-retours entre le passé et le temps présent découvrent les branches d'un arbre généalogique - certaines bien vivantes, d'autres méconnues, disparues, tronquées, altérées.


Le récit s'appuie sur la réalité d'une région en n’omettant rien des atrocités commises au nom de la politique, de la géopolitique, du sort des indigènes décimés au nom de quoi, d’une région dévastée par les changements agricoles, d’une écologie de plus en plus menacée. Seules une connaissance précise et une écriture exigeante peuvent comme ici décrire la singularité d’un paysage, d’une région, la puissance de ses conditions météorologiques et sa géologie tourmentée, la pluralité de ses hommes, de ses temps.


L'histoire est ainsi portée par les vents par la pluie, sur les crêtes, à la surface de l’eau glacée, sur les îles reculées. S’y mêlent le passé de la Patagonie et celui des personnages dans leur quête de vérité, de liberté. J’aime en Valentina l'image d'une femme forte, indépendante malgré tout fragile, qui suit son instinct et grave le sillon de futures générations. 


Sur les chemins et les routes de Patagonie, à la recherche de sa famille, de ses racines, sur les traces de sa grand-mère, Luis découvrira peut-être sa voie. 


Les braises de Patagonie, de Delphine Grouès

Aux éditions du Cherche Midi, collection Les passe-murailles

17 ans à jamais, de Gaël Aymon

Dans une ville du nord de la France, au printemps 1916, Marthe a 17 ans. Alors qu’elle sent le conflit lui voler sa jeunesse, rencontrer André - enfant de l’assistance publique, va changer le cours de sa vie. 

Du peu de temps qu’ils peuvent passer ensemble, ne reste bientôt que l’image de leur reflet, en gage d’une promesse qui seule, va la porter. 


Dans sa quête pour le retrouver, Marthe voit passer les années qui semblent glisser sur elle. Comment vivre avec l’étrangeté, comment à chaque fois se réinventer ? Comment ne pas perdre espoir alors qu’au fil du temps le monde change et elle pas, que la présence d’André l’accompagne et parfois s’efface ?


Dans cette fresque palpitante, ambitieuse, ultra documentée, au carrefour d’un roman historique, d’un roman young adult de qualité et d’un récit fantastique, les lecteurs de tout âge sont invités à suivre l’histoire magnétique de cette jeune femme dans l’histoire de France, dans l’histoire du monde. 


Dix-sept ans à jamais, de Gaël Aymon

Aux éditions Nathan


Prix Libraires en Seine 2025

À travers les champs bleus, de Claire Keegan

À travers les champs bleus, à travers les paysages d'Irlande - d'ailleurs, parfois, les personnages de Claire Keegan avancent comme il peuvent dans la vie, assumant leur solitude, leur étrangeté, émouvants, attachants. 

L'auteure livre ici huit nouvelles, toutes très différentes, liées par la terre, la lande, l'Irlande comme une palette émotionnelle multicolore. Avec une grande qualité d'écriture, elle met en scène la nature, les différentes époques, les situations les plus variées et emmène le lecteur en voyage au fil des sentiments de ses personnages, avec beaucoup de finesse. 

Salammbô, de Gustave Flaubert

Ce livre, imaginé, documenté et écrit par Flaubert entre 1857 et 1862, serait-il le roman parfait ?

Les cinq cents pages ont gardé toute leur puissance, et leur contemporanéité. L’histoire défile à vive allure dans le cadre exotique somptueux de Carthage, lors des guerres puniques du IIIème siècle avant JC. Écrite dans une langue foisonnante, elle plonge le lecteur dans une ambiance à la fois magique, romantique et violente où courent les mots pour décrire les palais et jardins aux parfums déjà disparus, la guerre les ruses les alliances et les mésalliances, les victoires les revers de fortune et les sanglantes défaites, les dieux effrayants et les pratiques cruelles. Autre temps, autre monde.

Au cœur de ce chaos, assujettie aux projets de son père le puissant suffète Hamilcar, Salammbô, de sa beauté hiératique déchaîne les passions. Dans sa quête désespérée de rapporter à la déesse Tanit son voile sacré, volé par les barbares, quel avenir pourra être le sien ?


L'auteur mêle son imagination fertile, sa passion pour l'orient, avec le désir de développer une grande épopée guerrière l'habitant depuis l'écriture de Madame Bovary. Le récit riche et ultra documenté n'omet aucun détail des fortunes cachées comme des pires atrocités et des barbaries pratiquées par les deux camps. Les pages se tournent à toute vitesse jusqu'à la conclusion, forcément tragique.


Et puis, comment résister à cette première phrase ?

« C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». 


Salammbô, de Gustave Flaubert

Une édition Folio classique

Terres Promises, de Bénédicte Dupré La Tour

Bénédicte Dupré La Tour livre ici, un récit universel et intemporel de l’élan humain vers les promesses de la vie. 

Au cœur d’un entrelacs de personnages, savamment tissé, les perdants les loosers de la ruée vers l’or prennent une nouvelle dimension. Dans cette épopée brutale les liens se font, se découvrent, et se défont.

Sans lieu, sans date, l’histoire se déroule et converge avec une grande force narrative, portée par une écriture littéraire et sans concession. 


Terres Promises, de Bénédicte Dupré La Tour

Aux éditions du Panseur


Sixième et dernière lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025.

Badjens, de Delphine Minoui

Zahra a 12 ans, en Iran. Sa vie quotidienne - aller en classe, vivre en famille, voir ses amies, marcher dans la rue, envisager son avenir, témoigne en tous points de la violence faite aux femmes, dans son pays, à notre époque contemporaine et moderne. Elle témoigne d'une domination masculine même intra familiale, d'une religion omniprésente, d'un modèle occidental observé par le trou de la serrure. De la privation d’études, d'une carrière, d'un conjoint choisi à l'âge désiré, des droits les plus élémentaires, de la liberté. 

La propagande, la répression, la pression via l’éducation et la société, sont contrebalancées par les bidouillages VPN lui permettant de s’échapper via le net, se renseigner, de communiquer avec le monde, de militer, d'imaginer sa propre transgression.

La jeune fille surnommée Badjens (en persan "espiègle", "effrontée", mot à mot "mauvais genre") par une mère résistante à sa façon, rêve de tout envoyer balader, d’exprimer sa désapprobation, dans un mouvement choral féminin dire son indignation, brûler les carcans, faire bouger les choses pour elle, pour sa génération et celles à venir. 

Est-ce possible dans cette région du monde, pour une adolescente des années 2020 ? Faut-il fuir, ou bien rester pour tenter de libérer le pays, quitte à mettre en péril sa vie ??


Sous la forme d'un roman percutant, Delphine Minoui, journaliste et auteure d'origine Iranienne, livre un témoignage indispensable.


Badjens, de Delphine Minoui

Aux éditions du Seuil


Cinquième lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025