La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

Avec les fées, de Sylvain Tesson

Dans la poésie de la lande et de la bruyère, des promenades sur les promontoires rocheux, le regard embrasse l’ouest. De port en crique, les escales en bateau offrent un accès privilégié aux bivouacs solitaires, en remontant de la Galice jusqu'au nord de l'Écosse, l'auteur part en quête de magie dans les paysages celtiques.

La fée est-elle le lieu, ou le regard posé sur ce lieu ? Le furtif, le presque passé, ou ce qui reste à venir ? Si la beauté se suffit à elle même, le féerique serait-il alors un regard personnel et fugace porté sur les beautés du monde ?

Savoir voir la beauté du monde, la beauté autour de soi, la beauté devant soi, constitue un pouvoir magique. 


Il y a sous la jolie plume de Sylvain Tesson autant de concepts simples et justes que d’autres plus complexes demandant réflexion pour mériter compréhension. Ainsi va la littérature offrant sa vision du monde. Ainsi grandit le lecteur. 


Avec les fées, de Sylvain Tesson

Aux Éditions Équateurs, Littérature

Rose, de Tatiana de Rosnay

De son talent de conteuse, l'écrivaine se glisse dans les souliers de Rose, habitante de la rue Childebert, tout près de l'église Saint-Germain des Prés. À l'unisson de nombreuses rues de la capitale, le quartier fait partie du grand projet de modernisation du préfet, le baron Haussmann. Depuis leur maison familiale, Rose adresse à son époux décédé des lettres dans lesquelles lui raconter sa vie, celle de ses amis et voisins, où petit à petit oser formuler ce qui l'effraie, ce qui la ronge. Le souvenirs des disparus, la vie du quartier, son combat, ses espoirs, ses blessures, sa révolte.

La forme épistolaire apporte au récit une dynamique renforcée par la tension que le lecteur sent monter au fur et à mesure de l'approche d'une échéance inéluctable. Au fil de ses souvenirs Rose replonge dans le passé, dévoilant de nouveaux pans de sa vie. L'écriture adopte un style bien accordé à cette fin du XIXème siècle, pour peindre avec des sons, des odeurs et des couleurs la vie quotidienne des parisiens, adultes, enfants, commerçants, nobles ou bien modestes.


Ce roman est peuplé de beaux personnages de femmes autour de la narratrice : son amie fleuriste, l'élégante baronne, maman Odette, ... Très documenté, il offre une passionnante promenade dans un Paris perdu, oublié, et propose, face aux rénovations nécessaires pour une ville plus saine et plus moderne, une tranche de vie des habitants, ceux qui ont été expropriés, obligés de changer de lieu de vie, d'abandonner à la démolition leur histoire et leur passé.


Rose est de ces livres que l’on regrette de terminer, dont on tourne avec tristesse la dernière page pour le laisser résonner en soi avant d’en choisir un autre. 


Rose, de Tatiana de Rosnay

Dans une très jolie édition chez Héloïse d'Ormesson

Et au Livre de Poche avec cette belle illustration : Boulevard dans Paris 1885 (Akseli Valdemar Gallen-Kallela)


Le sabotage amoureux, d'Amélie Nothomb

En Chine dans le ghetto de San Li Tun, de 1972 à 1975 une guerre internationale sans pitié a eu lieu. Elle est méconnue en raison de l’âge des belligérants : entre 7 et 13 ans. Amélie Nothomb, fille de consul, raconte dans ce livre sa vie à Pékin en famille, et surtout, entre enfants. S'il s'agit d'un roman, le contexte d'officiels occidentaux parqués en ghettos dans un pays communiste à l'administration opaque est à peine croyable, et à ce titre, méritait d'être écrit. La vie quotidienne des enfants livrés à eux-mêmes vient en complément, retracée avec précision, humour, franchise, sincérité et une pointe de brutalité.

L’imaginaire de l’enfant est retranscrit avec jubilation par l’écrivain adulte. Amélie Nothomb conte à merveille, de sa voix de petite fille, l’enfance où l’on ne vit que dans le présent, l’enfant centre de son propre monde, où un ange peut se révéler un démon, un monde avec ses lois ses principes sa cruauté, son sens des valeurs et du courage, dont les adultes sont exclus. Retour dans un monde oublié. 


D'une écriture percutante composée de phrases courtes, d'un vocabulaire précis et lettré, de mots magnifiques (subséquente, amphigourique) ou étranges (épanodiplose), la toute jeune auteure - dont c’est le deuxième livre après Hygiène de l’assassin, manie les adjectifs comme un feu d’artifice, les phrases à la mitraillette comme la petite Amélie - cinq à sept ans dans le récit, les idées loufoques. 

J’adore la pointe de folie, les mots à chercher dans le dictionnaire, l’humour corrosif et les remarques de génie. Le lecteur passe un moment formidable et ressort de la lecture plus intelligent.


Le sabotage amoureux, d'Amélie Nothomb

Aux éditions Albin Michel et Livre de Poche

Jours sans faim, de Delphine de Vigan (Lou Delvig)

Laure a dix-neuf ans, mesure un mètre soixante-quinze et pèse trente-six kilos. Elle ne peut plus parler ni lire, presque plus réfléchir, marcher sans tomber, s’assoir sans que la pointe de ses os ne lacère sa peau.

Dans ce livre comme un journal de bord, hospitalisée aux portes de la mort et de la folie, jour après jour elle lutte contre elle-même, contre le double malfaisant à qui elle a donné un nom, contre l'impératif de contrôle qui régissait sa vie. Bouchée après bouchée, un liquide de gavage coulant par le nez, comptant les calories elle revient à la vie en voyant avec angoisse les kilos revenir. Épaulée par le médecin qui l’a prise en charge, écoutée, portée à bout de bras, vue pleurer, crier, elle avoue par bribes une mère malade, absente, un père furieux, maltraitant et une belle-mère assortie, une sœur et un frère également pris en otage.

Autour de Laure les patients - boulimique, anorexique, en surpoids ou en fin de vie, habitent chacun quelques mètres de l’espace hospitalier, mêlant aux autres à sa façon une tranche de vie.

La maladie pour seule moyen d’exister ? Si elle sort, si elle s’en sort, Laure devra, seule, répondre à cette question.


Ce roman, premier texte publié (sous pseudonyme) par Delphine de Vigan, fait écho au récit de son magnifique livre autobiographique, Rien ne s’oppose à la nuit

Un récit dur, fort, puissant, très bien écrit, dont les mots et les idées sont aussi difficiles à lire qu’indispensables à dire.


Jours sans faim, de Delphine de Vigan

Aux éditions J'ai lu, Folio, Grasset

Ce que je sais de toi, d'Éric Chacour

Dans un dialogue unilatéral à la deuxième personne, le livre raconte l’histoire de Tarek, jeune médecin du Caire, au sein d’une famille et d’une communauté francophile chrétienne des annnées 80.

Au cœur d’une Égypte en pleine mutation (politique, économique, religieuse, …), après la mort de son père Tarek a grandi et se construit au milieu de femmes fortes - sa mère, leur employée, sa sœur, sa femme. Son avenir semble tout tracé dans les pas de son père et l’espoir de bientôt fonder une famille.

Et puis il y a la rencontre, celle que l’on n’attendait pas, celle qui fait tout vaciller, celle qui risque de tout casser et peut tout changer. 

Je n’en dirai pas plus, Ce que je sais de toi se lit, se découvre, au fil du récit finement analysé, les faits se succèdent avec fluidité. Le passage de la première à la seconde partie embarque dans un nouveau point de vue, apporte un souffle différent et dans le rythme accéléré aller-retour entre plusieurs années, à l’unisson du narrateur le lecteur avance en quête de vérité.


Eric Chacour reconnaît son intention dans les mots « lumineux, humour, tendresse », choisis avec justesse par Augustin Trapenard pour qualifier son livre dans la grande librairie du 13 septembre dernier. Un premier roman impressionnant tant au niveau de la création que de la réalisation. Un livre très maîtrisé, où la tension monte, guidée par une écriture riche, ample et précise.


Ce que je sais de toi, d'Éric Chacour

Aux éditions Philippe Rey

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.

Le Roitelet, de Jean-François Beauchemin

Le narrateur vit au cœur de la nature avec son épouse, entouré d’amis, proche de son frère plus jeune de quelques années. S’ils ne sont pas prénommés dans ce roman, on devine l’essentiel : leurs sentiments, leurs ressentis et surtout la force du lien qui les unit face à l’ombre au dessus du cadet. 

Les mécanismes de l’esprit du frère affleurent dans ses paroles livrées au compte goutte, tour à tour passionnantes déroutantes tendres poétiques opaques ou prophétiques, elles ajoutent à la beauté de ce livre. Le narrateur juge ses propres remarques « disparates ». Au contraire, elles dessinent page après page les contours d’une pensée différente, unique.


Le rythme léger de 63 chapitres d’une page ou deux permet l‘enchaînement de petites tranches de vies affranchies de chronologie. Ces moments, ces échanges, ces jours et ces heures partagées par l’homme avec son frère esquissent la personnalité de chacun, leur état d’esprit et au delà de la maladie mentale, leur intelligence, leur bienveillance, leur attachement. Dans la campagne, en compagnie des fantômes de chers disparus, de voisins, d’un chien d’un chat, quoi de plus important que le lien, la famille ?

Il y a beaucoup de réflexion, de pensées profondes - certaines nées de l’imagination, dans ce roman magnifique. Comme dans le personnage du frère neurodifférent, il y a aussi, j’ai envie de dire surtout, beaucoup de poésie, de beauté et beaucoup d’amour. 


Le Roitelet de Jean-François Beauchemin

Aux éditions Québec Amérique en version brochée

Chez Folio en livre de poche

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.

La colère et l’envie, d'Alice Renard

Isor, bébé, enfant, ne parle pas ne s’arrête jamais, va de colère en colère et personne ne la comprend. Crie-t-elle cette frustration, son impuissance ? Chaque professionnel consulté énonce une théorie, propose un traitement, certains renoncent. Ses parents choisissent de la soustraire aux diagnostics. La colère et l’envie met en lumière cette enfant à part, difficile à appréhender difficile tout court, le parcourt du combattant de ses parents épuisés, perdus. À travers le quotidien surréaliste de cette famille, Alice Renard pose des mots sur le clivage de la différence. Le fond et la forme se rejoignent : La colère et l’envie est un livre exigeant, puissant, unique. 
Au deuxième chapitre Isor, treize ans, et son voisin solitaire, retraité, se rencontrent au sens propre, et tous les après-midis, revivent à deux. Entre la jeune fille forteresse et l’homme âgé habité de tristesse, une relation profonde se noue à l’exclusion des parents entre soulagement de la voir occupée et incompréhension. 
Trois ans plus tard, lorsque Lucien a un accident, Isor disparaît et en quelque sorte, tout commence. Dans la fuite d’Isor on devine une réparation, dans cette réparation une renaissance pour lui, pour elle, pour ses parents. 

Le récit dépasse le sujet (très bien traité) de la neurodifférence, pour parler de remord, de chagrin, d’isolement, d’amour familial. Alice Renard a écrit (à 21 ans) un livre que personne d’autre ne serait capable d’écrire. Sa sensibilité que l’on imagine exacerbée, son histoire sans doute, son vécu, son imagination ont écrit de concert dans une langue aussi brute que fine, une observation juste de la vie et des sentiments, accompagnée d’une grande érudition. Elle livre une histoire sans évitement où la colère côtoie l’envie, et la violence des différences, la beauté. 
« Je suis un être envolé et utile », dit Isor à ses parents. Quoi de plus utile qu’un tel livre ?


La colère et l’envie, d’Alice Renard

Aux éditions Héloïse d’Ormesson

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.


Alice Renard a reçu le Prix littéraire de la Vocation 2023 de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet, sous le parrainage de Benjamin Millepied. J'ai eu la chance d'assister à la remise des prix et vous invite à lire sur le site de la fondation ce qu’elle dit de son écrit.