La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

À travers les champs bleus, de Claire Keegan

À travers les champs bleus, à travers les paysages d'Irlande - d'ailleurs, parfois, les personnages de Claire Keegan avancent comme il peuvent dans la vie, assumant leur solitude, leur étrangeté, émouvants, attachants. 

L'auteure livre ici huit nouvelles, toutes très différentes, liées par la terre, la lande, l'Irlande comme une palette émotionnelle multicolore. Avec une grande qualité d'écriture, elle met en scène la nature, les différentes époques, les situations les plus variées et emmène le lecteur en voyage au fil des sentiments de ses personnages, avec beaucoup de finesse. 

Salammbô, de Gustave Flaubert

Ce livre, imaginé, documenté et écrit par Flaubert entre 1857 et 1862, serait-il le roman parfait ?

Les cinq cents pages ont gardé toute leur puissance, et leur contemporanéité. L’histoire défile à vive allure dans le cadre exotique somptueux de Carthage, lors des guerres puniques du IIIème siècle avant JC. Écrite dans une langue foisonnante, elle plonge le lecteur dans une ambiance à la fois magique, romantique et violente où courent les mots pour décrire les palais et jardins aux parfums déjà disparus, la guerre les ruses les alliances et les mésalliances, les victoires les revers de fortune et les sanglantes défaites, les dieux effrayants et les pratiques cruelles. Autre temps, autre monde.

Au cœur de ce chaos, assujettie aux projets de son père le puissant suffète Hamilcar, Salammbô, de sa beauté hiératique déchaîne les passions. Dans sa quête désespérée de rapporter à la déesse Tanit son voile sacré, volé par les barbares, quel avenir pourra être le sien ?


L'auteur mêle son imagination fertile, sa passion pour l'orient, avec le désir de développer une grande épopée guerrière l'habitant depuis l'écriture de Madame Bovary. Le récit riche et ultra documenté n'omet aucun détail des fortunes cachées comme des pires atrocités et des barbaries pratiquées par les deux camps. Les pages se tournent à toute vitesse jusqu'à la conclusion, forcément tragique.


Et puis, comment résister à cette première phrase ?

« C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». 


Salammbô, de Gustave Flaubert

Une édition Folio classique

Terres Promises, de Bénédicte Dupré La Tour

Bénédicte Dupré La Tour livre ici, un récit universel et intemporel de l’élan humain vers les promesses de la vie. 

Au cœur d’un entrelacs de personnages, savamment tissé, les perdants les loosers de la ruée vers l’or prennent une nouvelle dimension. Dans cette épopée brutale les liens se font, se découvrent, et se défont.

Sans lieu, sans date, l’histoire se déroule et converge avec une grande force narrative, portée par une écriture littéraire et sans concession. 


Terres Promises, de Bénédicte Dupré La Tour

Aux éditions du Panseur


Sixième et dernière lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025.

Badjens, de Delphine Minoui

Zahra a 12 ans, en Iran. Sa vie quotidienne - aller en classe, vivre en famille, voir ses amies, marcher dans la rue, envisager son avenir, témoigne en tous points de la violence faite aux femmes, dans son pays, à notre époque contemporaine et moderne. Elle témoigne d'une domination masculine même intra familiale, d'une religion omniprésente, d'un modèle occidental observé par le trou de la serrure. De la privation d’études, d'une carrière, d'un conjoint choisi à l'âge désiré, des droits les plus élémentaires, de la liberté. 

La propagande, la répression, la pression via l’éducation et la société, sont contrebalancées par les bidouillages VPN lui permettant de s’échapper via le net, se renseigner, de communiquer avec le monde, de militer, d'imaginer sa propre transgression.

La jeune fille surnommée Badjens (en persan "espiègle", "effrontée", mot à mot "mauvais genre") par une mère résistante à sa façon, rêve de tout envoyer balader, d’exprimer sa désapprobation, dans un mouvement choral féminin dire son indignation, brûler les carcans, faire bouger les choses pour elle, pour sa génération et celles à venir. 

Est-ce possible dans cette région du monde, pour une adolescente des années 2020 ? Faut-il fuir, ou bien rester pour tenter de libérer le pays, quitte à mettre en péril sa vie ??


Sous la forme d'un roman percutant, Delphine Minoui, journaliste et auteure d'origine Iranienne, livre un témoignage indispensable.


Badjens, de Delphine Minoui

Aux éditions du Seuil


Cinquième lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025

Alors c’est bien, de Clémentine Mélois

Clémentine Mélois déroule dans ce livre les derniers jours de son père. Comment il a envisagé sa mort, souhaité la cérémonie, comment ses filles et sa femme ont fait émailler sa croix d’une couleur par lui-même choisie. Elle égrène ses souvenirs, entrecoupés de dialogues dont la simplicité donne le ton de l’intimité, de citations du journal de son père donnant le ton de la profondeur. Un chemin au bout de la vie, ponctué de réflexions personnelles touchantes et justes. 

Bernard Mélois, sculpteur, Prix de la Vocation 1963, a vécu toute sa vie avec ses idéaux, une certaine idée du grand, du beau, de ce qui suffit pour vivre, pour être heureux, de ce qui est nécessaire, important. Un artiste à la fois bohème et exigeant, un père imaginatif et présent.


Il y a dans ce récit, dans ces derniers jours et dans cette vie beaucoup d’amour, d’humour, une fantaisie assumée qui me plait tant, le travail créatif et l’inspiration mêlés à la vie quotidienne. Ce livre aborde également les thèmes intemporels et universels du souvenir, du partage, de la famille et de la transmission.

Un texte sur le deuil et la vie à la fois. 


Alors c'est bien, de Clémentine Mélois

Aux éditions L'arbalète / Gallimard

Prix Méduse 2024


Quatrième lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025

Le dernier thé de maître Sohô, de Cyril Gely

À travers la rencontre de la jeune Ibuki avec Sohô, grand maître samouraï, se dessine à la fin du XIXème siècle la transition entre un Japon séculaire, insulaire, et la modernité.

Le mode de vie ascétique du Maître calme la fougue de la jeune fille déguisée en garçon pour tenter de réaliser ainsi son rêve : suivre son enseignement et devenir à son tour samouraï. Alors, lorsqu’il insiste pour lui apprendre le thé au même titre que le sabre, elle accepte. 


Ce livre, comme un conte, aborde la vie la mort le combat et le quotidien, l’importance du minuscule et de tous les instants, parle de politique un peu et de poésie aussi. Il représente tout ce que j’aime : un beau titre, une très jolie écriture claire précise sans hésitation, un rythme soutenu pourtant aéré, une histoire qui fait voyager et apprendre, des personnages riches, de l'humour et une part de spiritualité. 

Un roman très juste très fin, qui emporte par la puissance de sa délicatesse et son intelligence. 


Cerise sur la gourmandise littéraire : cet ouvrage de la collection 1er/ mille édité chez arléa est très esthétique. Raison de plus pour le faire entrer dans sa bibliothèque. 


Le dernier thé de maître Sohô, de Cyril Gely

Aux éditions Arléa, 1er/ mille


Troisième lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025

Traverser les montagnes, et venir naître ici, de Marie Pavlenko

Le pouvoir des montagnes, leur isolement leurs promesses leur rudesse tendent un cadre à l’histoire d’Astrid et de Soraya.
Toutes deux sont en quête de renouveau, d’un possible nouveau départ, en équilibre précaire entre deuil et survie. L’une cherche une maison une nouvelle région dans ce mouvement tenter d’avancer, entourée entourée de la perte absolue, celle de sa famille. L’autre, si loin de son pays, seule, en détresse, sans nouvelle des siens, tend ses dernières forces vers la France, pays d’accueil.

De leur rencontre nait un infime espoir, un être humain protégé par les montagnes. Jusqu’à qui, jusqu’à quand ? Dans les sublimes paysages du Mercantour la solidarité et la force des femmes emmènent le lecteur dans une danse prenante, entre l’espoir et la fuite.


Traverser les montagnes, et venir naître ici, de Marie Pavlenko

Aux Éditions Les Escales, domaine français


Deuxième lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025

La Petite bonne, de Bérénice Pichat

La petite bonne est jeune, déterminée, travailleuse. Elle se contente de peu, un petit logement, un homme gentil presque tout le temps, des revenus permettant de se nourrir même si pour cela elle effectue des travaux difficiles et fatigants chez plusieurs patrons. La petite bonne rêve de peu, d’une bicyclette peut-être, juste de quoi s’alléger. Elle a oublié ses rêves.

Durant les années 1915-1920, la grande guerre a rendu aux familles beaucoup de cercueils et des gueules cassées, comme cet homme sans âge et sans avenir dont s’occupe avec abnégation son épouse.
Au carrefour de leurs individualités vont naitre une demande et un projet fou, de ceux qui pourraient tout remettre en cause. Où placer la frontière entre le pire et le meilleur ? À quel point s’oublier pour se consacrer aux autres ?
Dans une forme propre, imprimée sur un beau support par les éditions Les Avrils, l’écriture alerte de Bérénice Pichat déroule ces infimes moments du quotidien et la façon dont le changement se glisse dans les interstices pour peut-être tout changer.

La petite bonne, de Bérénice Pichat

Première Lecture pour le Prix Libraires en Seine 2025

Vers la joie, de Laurence Tardieu

Ce livre est très fort, très beau, en commençant par un titre qui attire autant qu'il interroge. J'ai ouvert Vers la joie, et ne l'ai pas lâché avant la conclusion, happée par le rythme, par l'écriture magnifique, par l'émotion m'ayant saisie dès la première page. 

Dans la première partie reviennent la force et l'angoisse mélangées du précédent livre de Laurence Tardieu, D'une aube à l'autre, racontant la terreur de tout parent : la maladie d'un enfant jusqu'au bord de la vie.

La deuxième partie aborde la période méconnue, sous-estimée et pourtant cruciale, de l'après, avec cette interrogation : "comment vivre après le combat ?" Quand la maladie est tenue à distance, le combat semble gagné, tout pourrait être derrière soi. L'auteure décrit de façon très juste le sentiment d'être perdue dans le temps et dans l'espace, la sensation de devoir à nouveau chercher sa place, quand les mots se dérobent et que l'on peine à s'ancrer dans la vie, dans sa vie.

Malgré ce que cette lutte a de destructeur, dans la dernière partie l'existence poursuit son chemin, des liens se tissent et la joie revient.

Comme dans À la fin le silence, l'actualité s'intègre dans le récit, la course du monde dans le cours de la vie, la folie des hommes entre en choc avec la sphère privée où une mère se bat pour la survie de ses enfants, une amie pour accompagner ses proches dans la douleur.
L'écrivain oscille entre ces deux espaces perméables, et décrit à merveille son combat vers la joie.

Vers la joie, de Laurence Tardieu