La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

La perle, de John Steinbeck

Dans une baie de basse Californie, Kino, pêcheur indigène, découvre un jour La perle, celle qui pourrait changer sa vie, la vie de sa femme et de leur bébé élevé dans la pauvreté d’une communauté mise à l’écart du confort, des soins, de l'éducation, de la réussite.

Le mal, la jalousie et la convoitise montent comme la gangrène au fil des lignes, dans le cœur des hommes, les bons les mauvais, dans ce conte haletant sombre et dense. 


La perle, de John Steinbeck - Prix Nobel de littérature

Le livre de Perle, de Timothée de Fombelle

Qui se cache derrière Joshua Perle, ce jeune homme aux yeux gris adopté avant la seconde guerre mondiale par des confiseurs parisiens ? De quelle lointaine contrée vient son léger accent ? Qui est l’homme mystérieux vivant entouré de ses chiens au bord d’une rivière dans une maison isolée remplie de valises ? Et quid des silhouettes de jeunes filles, des coups de main discrets, des chaussures abandonnées, des colis sans expéditeur, des souvenirs d’un autre monde ?

Au fil des chapitres aller et retour dans autant de lieux et d’époques, une quête éperdue se dessine tandis que Perle réunit des preuves de ce qui n’est pas sensé exister. Les histoires se rejoignent, et le rôle de l’écrivain lui-même au cœur de son imaginaire apparait dans ce récit haletant, magnifiquement bien écrit, bien raconté, où Timothée de Fombelle mêle avec talent magie, histoire, rêve, réalité, dans un roman libre et ambitieux peuplé de fées, de rois, d’animaux puissants comme d’hommes du quotidien.


Le Livre de Perle, de Timothée de Fombelle

Une édition Gallimard jeunesse, collection Pôle fiction

Métaphysique des tubes, d'Amélie Nothomb

Ce livre aux accents autobiographiques est un texte complet, à part entière, que l'on l'imagine précéder le Sabotage amoureux. La première partie est parée d'une étrangeté métaphysique jusqu'au moment où l'enfant inanimée nait une seconde fois, à deux ans et demi. Elle découvre la vie auprès de sa mère, son père consul de Belgique au Japon, son frère sa sœur, et sa nounou japonaise. Ses yeux s'ouvrent sur son monde et son esprit à tout ce qui l'entoure. Son pays d'accueil lui plait tant qu'elle ne peut envisager de le quitter, alors qu'elle expérimente la vie, la mort, la gentillesse et la méchanceté, l'amour et l'indifférence.

Aux côtés de la singulière petite fille de trois ans je me suis perdue dans les beautés du Japon, j’ai arpenté le jardin, observé la pluie, le ciel depuis le fond de l’eau. Dans la terre meuble de la petite enfance où tout semble permanent, naissent de l’expérience de nouveaux sentiments, de nouvelles idées.

Émouvant et puissant.

Métaphysique des tubes, d'Amélie Nothomb
Aux éditions Albin Michel et Livre de Poche

Avec les fées, de Sylvain Tesson

Dans la poésie de la lande et de la bruyère, des promenades sur les promontoires rocheux, le regard embrasse l’ouest. De port en crique, les escales en bateau offrent un accès privilégié aux bivouacs solitaires, en remontant de la Galice jusqu'au nord de l'Écosse, l'auteur part en quête de magie dans les paysages celtiques.

La fée est-elle le lieu, ou le regard posé sur ce lieu ? Le furtif, le presque passé, ou ce qui reste à venir ? Si la beauté se suffit à elle même, le féerique serait-il alors un regard personnel et fugace porté sur les beautés du monde ?

Savoir voir la beauté du monde, la beauté autour de soi, la beauté devant soi, constitue un pouvoir magique. 


Il y a sous la jolie plume de Sylvain Tesson autant de concepts simples et justes que d’autres plus complexes demandant réflexion pour mériter compréhension. Ainsi va la littérature offrant sa vision du monde. Ainsi grandit le lecteur. 


Avec les fées, de Sylvain Tesson

Aux Éditions Équateurs, Littérature

Rose, de Tatiana de Rosnay

De son talent de conteuse, l'écrivaine se glisse dans les souliers de Rose, habitante de la rue Childebert, tout près de l'église Saint-Germain des Prés. À l'unisson de nombreuses rues de la capitale, le quartier fait partie du grand projet de modernisation du préfet, le baron Haussmann. Depuis leur maison familiale, Rose adresse à son époux décédé des lettres dans lesquelles lui raconter sa vie, celle de ses amis et voisins, où petit à petit oser formuler ce qui l'effraie, ce qui la ronge. Le souvenirs des disparus, la vie du quartier, son combat, ses espoirs, ses blessures, sa révolte.

La forme épistolaire apporte au récit une dynamique renforcée par la tension que le lecteur sent monter au fur et à mesure de l'approche d'une échéance inéluctable. Au fil de ses souvenirs Rose replonge dans le passé, dévoilant de nouveaux pans de sa vie. L'écriture adopte un style bien accordé à cette fin du XIXème siècle, pour peindre avec des sons, des odeurs et des couleurs la vie quotidienne des parisiens, adultes, enfants, commerçants, nobles ou bien modestes.


Ce roman est peuplé de beaux personnages de femmes autour de la narratrice : son amie fleuriste, l'élégante baronne, maman Odette, ... Très documenté, il offre une passionnante promenade dans un Paris perdu, oublié, et propose, face aux rénovations nécessaires pour une ville plus saine et plus moderne, une tranche de vie des habitants, ceux qui ont été expropriés, obligés de changer de lieu de vie, d'abandonner à la démolition leur histoire et leur passé.


Rose est de ces livres que l’on regrette de terminer, dont on tourne avec tristesse la dernière page pour le laisser résonner en soi avant d’en choisir un autre. 


Rose, de Tatiana de Rosnay

Dans une très jolie édition chez Héloïse d'Ormesson

Et au Livre de Poche avec cette belle illustration : Boulevard dans Paris 1885 (Akseli Valdemar Gallen-Kallela)


Le sabotage amoureux, d'Amélie Nothomb

En Chine dans le ghetto de San Li Tun, de 1972 à 1975 une guerre internationale sans pitié a eu lieu. Elle est méconnue en raison de l’âge des belligérants : entre 7 et 13 ans. Amélie Nothomb, fille de consul, raconte dans ce livre sa vie à Pékin en famille, et surtout, entre enfants. S'il s'agit d'un roman, le contexte d'officiels occidentaux parqués en ghettos dans un pays communiste à l'administration opaque est à peine croyable, et à ce titre, méritait d'être écrit. La vie quotidienne des enfants livrés à eux-mêmes vient en complément, retracée avec précision, humour, franchise, sincérité et une pointe de brutalité.

L’imaginaire de l’enfant est retranscrit avec jubilation par l’écrivain adulte. Amélie Nothomb conte à merveille, de sa voix de petite fille, l’enfance où l’on ne vit que dans le présent, l’enfant centre de son propre monde, où un ange peut se révéler un démon, un monde avec ses lois ses principes sa cruauté, son sens des valeurs et du courage, dont les adultes sont exclus. Retour dans un monde oublié. 


D'une écriture percutante composée de phrases courtes, d'un vocabulaire précis et lettré, de mots magnifiques (subséquente, amphigourique) ou étranges (épanodiplose), la toute jeune auteure - dont c’est le deuxième livre après Hygiène de l’assassin, manie les adjectifs comme un feu d’artifice, les phrases à la mitraillette comme la petite Amélie - cinq à sept ans dans le récit, les idées loufoques. 

J’adore la pointe de folie, les mots à chercher dans le dictionnaire, l’humour corrosif et les remarques de génie. Le lecteur passe un moment formidable et ressort de la lecture plus intelligent.


Le sabotage amoureux, d'Amélie Nothomb

Aux éditions Albin Michel et Livre de Poche

Jours sans faim, de Delphine de Vigan (Lou Delvig)

Laure a dix-neuf ans, mesure un mètre soixante-quinze et pèse trente-six kilos. Elle ne peut plus parler ni lire, presque plus réfléchir, marcher sans tomber, s’assoir sans que la pointe de ses os ne lacère sa peau.

Dans ce livre comme un journal de bord, hospitalisée aux portes de la mort et de la folie, jour après jour elle lutte contre elle-même, contre le double malfaisant à qui elle a donné un nom, contre l'impératif de contrôle qui régissait sa vie. Bouchée après bouchée, un liquide de gavage coulant par le nez, comptant les calories elle revient à la vie en voyant avec angoisse les kilos revenir. Épaulée par le médecin qui l’a prise en charge, écoutée, portée à bout de bras, vue pleurer, crier, elle avoue par bribes une mère malade, absente, un père furieux, maltraitant et une belle-mère assortie, une sœur et un frère également pris en otage.

Autour de Laure les patients - boulimique, anorexique, en surpoids ou en fin de vie, habitent chacun quelques mètres de l’espace hospitalier, mêlant aux autres à sa façon une tranche de vie.

La maladie pour seule moyen d’exister ? Si elle sort, si elle s’en sort, Laure devra, seule, répondre à cette question.


Ce roman, premier texte publié (sous pseudonyme) par Delphine de Vigan, fait écho au récit de son magnifique livre autobiographique, Rien ne s’oppose à la nuit

Un récit dur, fort, puissant, très bien écrit, dont les mots et les idées sont aussi difficiles à lire qu’indispensables à dire.


Jours sans faim, de Delphine de Vigan

Aux éditions J'ai lu, Folio, Grasset

Ce que je sais de toi, d'Éric Chacour

Dans un dialogue unilatéral à la deuxième personne, le livre raconte l’histoire de Tarek, jeune médecin du Caire, au sein d’une famille et d’une communauté francophile chrétienne des annnées 80.

Au cœur d’une Égypte en pleine mutation (politique, économique, religieuse, …), après la mort de son père Tarek a grandi et se construit au milieu de femmes fortes - sa mère, leur employée, sa sœur, sa femme. Son avenir semble tout tracé dans les pas de son père et l’espoir de bientôt fonder une famille.

Et puis il y a la rencontre, celle que l’on n’attendait pas, celle qui fait tout vaciller, celle qui risque de tout casser et peut tout changer. 

Je n’en dirai pas plus, Ce que je sais de toi se lit, se découvre, au fil du récit finement analysé, les faits se succèdent avec fluidité. Le passage de la première à la seconde partie embarque dans un nouveau point de vue, apporte un souffle différent et dans le rythme accéléré aller-retour entre plusieurs années, à l’unisson du narrateur le lecteur avance en quête de vérité.


Eric Chacour reconnaît son intention dans les mots « lumineux, humour, tendresse », choisis avec justesse par Augustin Trapenard pour qualifier son livre dans la grande librairie du 13 septembre dernier. Un premier roman impressionnant tant au niveau de la création que de la réalisation. Un livre très maîtrisé, où la tension monte, guidée par une écriture riche, ample et précise.


Ce que je sais de toi, d'Éric Chacour

Aux éditions Philippe Rey

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.