La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

Le parfum des fleurs la nuit, de Leïla Slimani

Dans le cadre de la collection "Ma nuit au musée"* (à l'initiative de la maison d'édition Stock), la romancière Leïla Slimani accepte de passer une nuit, seule, à la Punta della Dogana. Une partie de la collection d'art contemporain Pinault y est exposée depuis 2009, à l'extrême pointe du Dorsoduro, près de la Basilique Santa Maria della Salute, là où se rejoignent le Grand Canal et le Canal de la Guidecca. Le musée d'art contemporain rénové par Tadao Andō intègre un cube de béton comme centre névralgique des anciennes douanes XVIIème de Venise. 

Au cœur des 5000m2 de bâtiments à l'esthétique forte et l'histoire chargée, Leïla Slimani livre sans détour ses impressions. Perdue dans le plan du musée, intimidée par l'art contemporain, au fil des heures et de sa visite dans le silence et l'obscurité se dessinent son rapport à la solitude, à l'écriture, au déplacement, au déracinement. Dans cette errance s'invite la ville de Venise, son passé et son avenir ; dans la nuit surgissent les lieux de l'enfance, leur géographie leurs parfums ; et dans ce cadre mouvant s'installe un dialogue entre l'auteure et son père, entre l'adulte et la jeune fille qu'elle était, un dialogue avec la vie tout simplement.

Ce livre est porté par une écriture magnifique, il nous emporte au loin ou bien tout près, en Orient en Occident, en famille ou sur les chemins de la littérature.

Le parfum des fleurs la nuit, de Leïla Slimani,
Aux éditions Folio et Stock

* Dans la même collection, Lola Laffon passe une nuit dans le musée Anne Frank d'Amsterdam. "Quand tu écouteras cette chanson", un récit très fort.

"Je ne serais pas arrivée là si ..." 30 femmes racontent, d'Annick Cojean

Annick Cojean choisi 30 interviews parmi toutes celles réalisées pour Le Monde dans le cadre de sa chronique "Je ne serais pas arrivé.e là si ..." .
30 femmes se livrent avec sincérité et toute leur personnalité sur ce sujet fondateur, sur ce qui les a constituées et pourquoi, comment elles ont rebondi, grandi, avancé.
Comment porter la douleur, supporter la discrimination, la suprématie familiale ou masculine, en tirer force, pouvoir d'engagement, refuser les carcans les enfermements dans une case une famille un milieu social ou un mariage.

30 femmes hautement inspirantes, 30 chapitres à lire dans l'ordre souhaité. J'ai adoré papillonner d'Amélie Nothomb à Marianne Faithfull, de Virginie Despentes à Patti Smith, d'Hélène Grimaud à Anne Hidalgo, Laura Flessel, Agnès B., Marie-Claude Pietragalla, ... découvrir leur enfance, leur vie, leurs fêlures, leurs fiertés.


Une lecture essentielle

La perle, de John Steinbeck

Dans une baie de basse Californie, Kino, pêcheur indigène, découvre un jour La perle, celle qui pourrait changer sa vie, la vie de sa femme et de leur bébé élevé dans la pauvreté d’une communauté mise à l’écart du confort, des soins, de l'éducation, de la réussite.

Le mal, la jalousie et la convoitise montent comme la gangrène au fil des lignes, dans le cœur des hommes, les bons les mauvais, dans ce conte haletant sombre et dense. 


La perle, de John Steinbeck - Prix Nobel de littérature

Le livre de Perle, de Timothée de Fombelle

Qui se cache derrière Joshua Perle, ce jeune homme aux yeux gris adopté avant la seconde guerre mondiale par des confiseurs parisiens ? De quelle lointaine contrée vient son léger accent ? Qui est l’homme mystérieux vivant entouré de ses chiens au bord d’une rivière dans une maison isolée remplie de valises ? Et quid des silhouettes de jeunes filles, des coups de main discrets, des chaussures abandonnées, des colis sans expéditeur, des souvenirs d’un autre monde ?

Au fil des chapitres aller et retour dans autant de lieux et d’époques, une quête éperdue se dessine tandis que Perle réunit des preuves de ce qui n’est pas sensé exister. Les histoires se rejoignent, et le rôle de l’écrivain lui-même au cœur de son imaginaire apparait dans ce récit haletant, magnifiquement bien écrit, bien raconté, où Timothée de Fombelle mêle avec talent magie, histoire, rêve, réalité, dans un roman libre et ambitieux peuplé de fées, de rois, d’animaux puissants comme d’hommes du quotidien.


Le Livre de Perle, de Timothée de Fombelle

Une édition Gallimard jeunesse, collection Pôle fiction

Métaphysique des tubes, d'Amélie Nothomb

Ce livre aux accents autobiographiques est un texte complet, à part entière, que l'on l'imagine précéder le Sabotage amoureux. La première partie est parée d'une étrangeté métaphysique jusqu'au moment où l'enfant inanimée nait une seconde fois, à deux ans et demi. Elle découvre la vie auprès de sa mère, son père consul de Belgique au Japon, son frère sa sœur, et sa nounou japonaise. Ses yeux s'ouvrent sur son monde et son esprit à tout ce qui l'entoure. Son pays d'accueil lui plait tant qu'elle ne peut envisager de le quitter, alors qu'elle expérimente la vie, la mort, la gentillesse et la méchanceté, l'amour et l'indifférence.

Aux côtés de la singulière petite fille de trois ans je me suis perdue dans les beautés du Japon, j’ai arpenté le jardin, observé la pluie, le ciel depuis le fond de l’eau. Dans la terre meuble de la petite enfance où tout semble permanent, naissent de l’expérience de nouveaux sentiments, de nouvelles idées.

Émouvant et puissant.

Métaphysique des tubes, d'Amélie Nothomb
Aux éditions Albin Michel et Livre de Poche

Avec les fées, de Sylvain Tesson

Dans la poésie de la lande et de la bruyère, des promenades sur les promontoires rocheux, le regard embrasse l’ouest. De port en crique, les escales en bateau offrent un accès privilégié aux bivouacs solitaires, en remontant de la Galice jusqu'au nord de l'Écosse, l'auteur part en quête de magie dans les paysages celtiques.

La fée est-elle le lieu, ou le regard posé sur ce lieu ? Le furtif, le presque passé, ou ce qui reste à venir ? Si la beauté se suffit à elle même, le féerique serait-il alors un regard personnel et fugace porté sur les beautés du monde ?

Savoir voir la beauté du monde, la beauté autour de soi, la beauté devant soi, constitue un pouvoir magique. 


Il y a sous la jolie plume de Sylvain Tesson autant de concepts simples et justes que d’autres plus complexes demandant réflexion pour mériter compréhension. Ainsi va la littérature offrant sa vision du monde. Ainsi grandit le lecteur. 


Avec les fées, de Sylvain Tesson

Aux Éditions Équateurs, Littérature

Rose, de Tatiana de Rosnay

De son talent de conteuse, l'écrivaine se glisse dans les souliers de Rose, habitante de la rue Childebert, tout près de l'église Saint-Germain des Prés. À l'unisson de nombreuses rues de la capitale, le quartier fait partie du grand projet de modernisation du préfet, le baron Haussmann. Depuis leur maison familiale, Rose adresse à son époux décédé des lettres dans lesquelles lui raconter sa vie, celle de ses amis et voisins, où petit à petit oser formuler ce qui l'effraie, ce qui la ronge. Le souvenirs des disparus, la vie du quartier, son combat, ses espoirs, ses blessures, sa révolte.

La forme épistolaire apporte au récit une dynamique renforcée par la tension que le lecteur sent monter au fur et à mesure de l'approche d'une échéance inéluctable. Au fil de ses souvenirs Rose replonge dans le passé, dévoilant de nouveaux pans de sa vie. L'écriture adopte un style bien accordé à cette fin du XIXème siècle, pour peindre avec des sons, des odeurs et des couleurs la vie quotidienne des parisiens, adultes, enfants, commerçants, nobles ou bien modestes.


Ce roman est peuplé de beaux personnages de femmes autour de la narratrice : son amie fleuriste, l'élégante baronne, maman Odette, ... Très documenté, il offre une passionnante promenade dans un Paris perdu, oublié, et propose, face aux rénovations nécessaires pour une ville plus saine et plus moderne, une tranche de vie des habitants, ceux qui ont été expropriés, obligés de changer de lieu de vie, d'abandonner à la démolition leur histoire et leur passé.


Rose est de ces livres que l’on regrette de terminer, dont on tourne avec tristesse la dernière page pour le laisser résonner en soi avant d’en choisir un autre. 


Rose, de Tatiana de Rosnay

Dans une très jolie édition chez Héloïse d'Ormesson

Et au Livre de Poche avec cette belle illustration : Boulevard dans Paris 1885 (Akseli Valdemar Gallen-Kallela)


Le sabotage amoureux, d'Amélie Nothomb

En Chine dans le ghetto de San Li Tun, de 1972 à 1975 une guerre internationale sans pitié a eu lieu. Elle est méconnue en raison de l’âge des belligérants : entre 7 et 13 ans. Amélie Nothomb, fille de consul, raconte dans ce livre sa vie à Pékin en famille, et surtout, entre enfants. S'il s'agit d'un roman, le contexte d'officiels occidentaux parqués en ghettos dans un pays communiste à l'administration opaque est à peine croyable, et à ce titre, méritait d'être écrit. La vie quotidienne des enfants livrés à eux-mêmes vient en complément, retracée avec précision, humour, franchise, sincérité et une pointe de brutalité.

L’imaginaire de l’enfant est retranscrit avec jubilation par l’écrivain adulte. Amélie Nothomb conte à merveille, de sa voix de petite fille, l’enfance où l’on ne vit que dans le présent, l’enfant centre de son propre monde, où un ange peut se révéler un démon, un monde avec ses lois ses principes sa cruauté, son sens des valeurs et du courage, dont les adultes sont exclus. Retour dans un monde oublié. 


D'une écriture percutante composée de phrases courtes, d'un vocabulaire précis et lettré, de mots magnifiques (subséquente, amphigourique) ou étranges (épanodiplose), la toute jeune auteure - dont c’est le deuxième livre après Hygiène de l’assassin, manie les adjectifs comme un feu d’artifice, les phrases à la mitraillette comme la petite Amélie - cinq à sept ans dans le récit, les idées loufoques. 

J’adore la pointe de folie, les mots à chercher dans le dictionnaire, l’humour corrosif et les remarques de génie. Le lecteur passe un moment formidable et ressort de la lecture plus intelligent.


Le sabotage amoureux, d'Amélie Nothomb

Aux éditions Albin Michel et Livre de Poche