La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

La colère et l’envie, d'Alice Renard

Isor, bébé, enfant, ne parle pas ne s’arrête jamais, va de colère en colère et personne ne la comprend. Crie-t-elle cette frustration, son impuissance ? Chaque professionnel consulté énonce une théorie, propose un traitement, certains renoncent. Ses parents choisissent de la soustraire aux diagnostics. La colère et l’envie met en lumière cette enfant à part, difficile à appréhender difficile tout court, le parcourt du combattant de ses parents épuisés, perdus. À travers le quotidien surréaliste de cette famille, Alice Renard pose des mots sur le clivage de la différence. Le fond et la forme se rejoignent : La colère et l’envie est un livre exigeant, puissant, unique. 
Au deuxième chapitre Isor, treize ans, et son voisin solitaire, retraité, se rencontrent au sens propre, et tous les après-midis, revivent à deux. Entre la jeune fille forteresse et l’homme âgé habité de tristesse, une relation profonde se noue à l’exclusion des parents entre soulagement de la voir occupée et incompréhension. 
Trois ans plus tard, lorsque Lucien a un accident, Isor disparaît et en quelque sorte, tout commence. Dans la fuite d’Isor on devine une réparation, dans cette réparation une renaissance pour lui, pour elle, pour ses parents. 

Le récit dépasse le sujet (très bien traité) de la neurodifférence, pour parler de remord, de chagrin, d’isolement, d’amour familial. Alice Renard a écrit (à 21 ans) un livre que personne d’autre ne serait capable d’écrire. Sa sensibilité que l’on imagine exacerbée, son histoire sans doute, son vécu, son imagination ont écrit de concert dans une langue aussi brute que fine, une observation juste de la vie et des sentiments, accompagnée d’une grande érudition. Elle livre une histoire sans évitement où la colère côtoie l’envie, et la violence des différences, la beauté. 
« Je suis un être envolé et utile », dit Isor à ses parents. Quoi de plus utile qu’un tel livre ?


La colère et l’envie

d’Alice Renard

Aux éditions Éloïse d’Ormesson

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.


Alice Renard a reçu le Prix littéraire de la Vocation 2023 de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet, sous le parrainage de Benjamin Millepied. J'ai eu la chance d'assister à la remise des prix et vous invite à lire sur le site de la fondation ce qu’elle dit de son écrit.


Poussière blonde, de Tatiana de Rosnay

Poussière blonde nous emmène au Nevada, dans l’univers poudré du Mapes Hotel et de sa belle clientèle, à travers les yeux de Pauline, femme de ménage, jeune mère célibataire franco-américaine, bloquée dans l’emprise d’une relation toxique. Dans ses rêves, elle devenait vétérinaire au service des magnifiques mustangs sauvages de la région, une rencontre va changer sa vie.

Ce roman, à travers ses personnages dont la vie se découvre au fil de chapitres alternés dans le temps, explore à mon sens de nombreux thèmes : la célébrité, le rapport au sauvage et à la liberté, le contrôle et le pouvoir, la difficulté de se réaliser dans un pays étranger, la confiance en soi et ses aspirations, le respect sous toutes ses formes.

Lorsque j’ai eu le plaisir de rencontrer et surtout d’écouter Tatiana de Rosnay parler de ses livres en général et de ce roman en particulier, elle a eu cette jolie formule : « Marilyn Monroe est un passager clandestin ». Et quel passager ! Dans les regards croisés de la star et de la jeune fille inconnue, se joue une tranche de vie pour chacune d’elle, au cœur du tournage en pleine débâcle des Désaxés. 

Poussière blonde, de Tatiana de Rosnay
Publié aux éditions Albin Michel

Danser encore, de Charles Aubert

Alors que monte de façon inéluctable le nazisme, Rukeli boxe. Il boxe pour être champion d’Allemagne, progresse au mépris des critiques opposées à son style "dansé", au mépris des injures racistes lancées à ses cheveux sombres sa peau foncée, ses origines tziganes. Il aime Olga, violoniste arienne qui partage sa vie et tente d’intégrer l’orchestre philharmonique de Berlin.

Les tensions s’intensifient dans le pays et dans toute l'Europe. Devant leurs proches incrédules, chaque jour chaque manifestation chaque élection, le mal écrase un peu plus le bien et l’avenir n’existe plus. Petit à petit, Rukeli perd tout. Son titre, sa licence, ses droits, sa femme et sa fille dont il doit s’éloigner pour les protéger. La suite, la fin, sont d’autant plus poignantes qu’elles content la véritable histoire de Johann Trollmann « Rukeli », de sa famille, des tziganes - "peuple du vent", des allemands, des millions de déportés, assassinés.


Les dix rounds implacables de ce livre à l’écriture précise, forte et bouleversante, en faisant revivre la mémoire du boxeur mort en 1943, rappellent par son histoire, une parmi tant d'autres comme celle d'Anne Frank, les valeurs bafouées de la citoyenneté, de la liberté, de l’humanité, les vies détruites dans l’immense violence et la folie nazies.


Danser encore, de Charles Aubert

Publié aux éditions Istya et cie

Finaliste du prix Libraires en Seineauquel j'ai le plaisir de participer.


Et vous passerez comme des vents fous, de Clara Arnaud

Fin du dix-neuvième siècle. Jules, jeune et ambitieux, voit dans l’ours l’opportunité de réaliser son rêve : partir dans une vie de saltimbanque, loin, très loin, jusqu’en Amérique.
De nos jours, dans les Pyrénées, Gaspard est berger. Il se prépare à monter, à nouveau, les bêtes en haute montagne. Se débattant avec le traumatisme d’un accident l’été précédent, il se sent osciller entre les pôles opposés de sa vie : une femme et des filles « en bas », et une existence solitaire « en haut ».
Alma, scientifique, éthologue, se remet d’un amour impossible laissé dans les grands espaces de l’Alaska. Au sein de l’équipe du Centre National pour la Biodiversité, spécialiste de l’ours, par une observation minutieuse alliée à ses connaissances elle cherche à prouver qu’un chemin existe, dans le respect de l’animal, vers une coexistence apaisée. Car l’ours effraie, divise, fascine les écologistes, les scientifiques, les éleveurs, les habitants, les politiques. Dans une quête passionnée, Alma tente de côtoyer la Negra, plus vieille ourse de la vallée, l’étudier, la comprendre, la sauver.

Ce roman est un hymne à la vie sauvage, à la montagne comme espace à protéger, aux animaux dans leurs modes de vie uniques et particuliers. L’humain et la nature s’y trouvent étroitement mêlés, proches et rivaux à la fois, dans une interaction dont on se demande si elle peut être éternelle. L’homme passe presque au second plan, dans ce livre, loin après l’urgence de respecter les espaces naturels et les espèces sauvages, pour cela les connaitre et savoir s’effacer. Sur fond de dérèglement climatique, quel avenir pour les espèces domestiquées et celles, soit-disant protégées ? Jusqu’où se fondre dans la nature pour pleinement la ressentir ? Jusqu’où aller pour vivre son rêve ?

« Et vous passerez comme des vents fous » est prenant, très documenté, vivant et bien écrit. Il nous donne à regretter de ne faire que passer, justement.


Et vous passerez comme des vents fous, de Clara Arnaud

Publié aux éditions Actes Sud

Finaliste du prix Libraires en Seineauquel j'ai le plaisir de participer.

Éden, d'Audur Ava Ólafsdóttir

Alba, la trentaine dépassée, citadine célibataire sans enfants, évolue dans le monde du langage, enseigne, conseille, lit et annote des manuscrit, participe à des colloques à l’étranger. Consciente de son empreinte carbone, d'un rapide calcul elle se propose, pour compenser, de planter 5 600 arbres, et pour ce faire, acquiert un terrain isolé au bord d’une rivière avec sa maison délabrée. Peu à peu, elle s’approprie le terrain, l’habitation, le village et ses habitants, petit à petit, plant après plant, sa vie s’en trouve transformée.

À travers le personnage principal se télescopent le milieu de la linguistique, celui de l’enseignement et celui de l’édition. Le microcosme islandais, sa géographie, ses conditions météorologiques dépassent le cadre de l'histoire pour occuper une place prédominante dans ce roman. Il y est question d’arbres, bien sûr, et de forêts, de rêves prémonitoires, de romans policiers, d’un lieu à habiter - au propre et au figuré, d'une terre à planter. On croise des nappes de brouillard d’origine indéterminée, un voisin difficile à cerner, un chauffeur de taxi halluciné, et un groupe de réfugiés en difficulté face à la langue islandaise - à laquelle le lecteur se trouve lui aussi confronté.

Tout cela se rejoint page après page ; à mesure qu'Alba prend en main son jardin et sa maison, c’est comme si le rythme s’accélérait, que paradoxalement les phrases s’allongeaient, que tout devenait plus léger. 


Le flux rapide des dialogues réduits à l’essentiel va de sujet en sujet, écrit en phrases souvent courtes, s'organise en chapitres, se divise de sous-titres. Les idées, la construction, les échanges semblent particulièrement cadencés, peut-être cela tient-il à la langue islandaise, influant sur la pensée, sur le style. Cela apporte par ailleurs une modernité, une manière de simplifier intéressante, d’éviter les explications, de laisser deviner, que je trouve bien vue. Les personnages en sont plus clairvoyants, prêtent aux autres plus d’intelligence, évitent les lieux communs. 

J’ai également aimé dans ce livre la réflexion sur la permanence de l’homme et celle de la langue, sur la possibilité ou non de la nature de nous sauver. 


Éden, d'Audur Ava Olafsdottir

Publié aux éditions Zulma (très belles couvertures)

Finaliste du prix Libraires en Seine auquel j'ai le plaisir de participer.


+ De la même autrice, Rosa Candida est l'un de mes livres préférés (sur ce précédent sujet)